samedi 15 mai 2010

Voilà, vous avez décidé de sauter le pas. Vous voulez faire de la méditation zen! La méditation consiste-t-elle à faire ou à ne pas faire ? Difficile à dire! En tout cas, il faut bien commencer par quelque part, comme de venir dans un groupe ou dans un centre. Mais tout d’abord, réfléchissez. La méditation zen est un bouleversement. Avez-vous envie d’être bouleversé ? Cette toute première fois, serez-vous à la hauteur de votre hardiesse ? Évidemment, pour cette première, n’arrivez pas en retard ou en courant. Préférez un pantalon large qui ne vous serre pas à la taille. Soyez propre, mais évitez les parfums. Enlevez vos bijoux. Soyez naturel.

À l'entrée, laissez vos chaussures. Il ne s’agit pas simplement de se déchausser, mais de réapprendre la délicatesse dans les gestes les plus simples. Posez doucement vos chaussures, la gauche est à gauche de la droite, la droite est à droite de la gauche. Enlevez également vos chaussettes. Avec vos chaussures, laissez aussi vos idées sur le zen, vos lectures, toutes ces pages que vous tourniez encore et encore dans votre tête il y a peu, tous vos jugements sur ce qu’est le bouddhisme ou non, toutes vos attentes, même les plus belles. Oui, laissez-les à la porte d’entrée. Glissez-les une à une dans vos chaussures. Non qu’il faille négliger les idées, les pensées, bien au contraire, mais déposez-les simplement avec soin à la porte d’entrée. Vous les reprendrez tout à l’heure. C’est la bonne manière de commencer. L’esprit frais.

Alors vous pouvez entrer. Dans l’espace qui vous est proposé, vous verrez qu’il n’y a (presque) rien. Ne soyez pas désarçonné. Nous enlevons les images pour tenter de toucher la réalité nue de l’expérience. Pouvez-vous réellement vous rencontrer vous-même ? Directement, sans l’intermédiaire de quoi que ce soit.

Un espace vous est offert. Une fois passé la porte d’entrée, vous vous inclinez les mains jointes dans un geste de gratitude. Vous prenez un coussin rond pour vous asseoir dessus. Tâtez-le soigneusement : est-il suffisamment épais, suffisamment large ? Vous devez apprendre à jauger les coussins, trouver celui qui sera adapté à votre propre morphologie.

Et puis, vous vous asseyez face au mur. La méditation est une expérience totale. Elle met en jeu tout à la fois le corps, la respiration et le mental. Fondamentalement, il n’y a que trois points à retenir dans l’apprentissage de la méditation : vous devez être stable, vous devez être tonique, vous devez vous sentir à l’aise.

La stabilité est assurée par le trépied formé des jambes croisées et des fesses surélevées par le coussin. Prenez la position du lotus, du demi-lotus, ou à défaut placez simplement un pied sur le mollet opposé. Les deux genoux doivent toucher le sol avec une égale pression.

La tonicité se trouve en redressant la colonne vertébrale. Ne vous asseyez pas sur le haut mais sur le bas des fesses. À partir du trépied que forment les jambes et les fesses, redressez doucement la colonne, puis la tête, rentrez délicatement le menton et abaissez le regard devant vous sans fixer un point particulier. Si vous n’arrivez pas à croiser les jambes, vous pouvez également vous asseoir à genoux sur un coussin ou sur un banc ou même encore sur une chaise. La rectitude de la colonne est l’axe de la méditation. Elle donne sa force à la posture. Sentez comme votre corps est solidement ancré dans le sol et qu’en même temps, il se déploie avec souplesse dans l’espace. Le tonus signifie qu’il n’y a ni tension excessive, ni relâchement. Ne vous asseyez pas en tailleur. Cette position ne permet pas de maintenir longtemps la stabilité et le tonus.

Placez votre main gauche sur votre main droite, les pouces se joignant à l’horizontale. Les mains sont posées sur les pieds et contre le corps. Pensez à décoller légèrement les bras du buste.

Vous fermez la bouche et respirez par le nez. Le souffle est tranquille. Il n’a pas besoin d’être modifié. En redressant le buste, la cage thoracique n’est plus comprimée, et vous pouvez respirer librement, doucement, sans contrainte. Pensez seulement à ne pas faire de bruit avec votre respiration.

Et l’esprit ? Il existe différentes techniques et méthodes de méditation zen. Vous les apprendrez plus tard. Ne soyez pas pressé. Pour l’instant, contentez-vous simplement de voir et d’écouter. Il n’y a plus de bruit à l’extérieur mais, en vous, qu’est-ce qui apparaît ? Le silence ou bien le bruissement de l’esprit ? Essayez simplement de développer un regard panoramique, accueillez tout ce qui surgit : les pensées, les sensations ou les émotions. Ne les refusez pas. Ne les poursuivez pas. En étant fixé, ancré dans cette expérience vivante du corps.

C’est tout ? Oui. Cela semble trop simple ? Après, chacun s’aperçoit rapidement combien le corps, la respiration ou le mental peuvent être sources de confusion, de difficultés en tout genre. On n’arrive pas à croiser les jambes, on a mal, on se sent tordu, la respiration est difficile, saccadée, hachée. L’esprit va dans tous les sens, divague ou encore s’endort. Ce n’est pas comme dans les livres! Effectivement. Mais il faut bien partir de quelque part, de ce corps, de votre corps parfois ferme, parfois chancelant ; du mental, de votre mental parfois aiguisé, parfois embrumé. Toute l’habileté va consister à métamorphoser tous les obstacles intérieurs, que votre corps, votre respiration et votre mental deviennent le creuset de l’éveil. Bien sûr, il vous faudra une aide, pour vous orienter, pour vous guider. Un apprentissage sera nécessaire. Si vous ne vous souciez pas de l’extravagance de la méditation, en bref si vous y revenez, n’hésitez pas à demander conseil : pas de vagues recommandations mais de véritables conseils pour vous inspirer, pour pénétrer profondément cet espace intérieur. Pour toucher votre propre cœur.

Il vous faut au début ressentir la stabilité intérieure, la tonicité, jusqu’à ce que vous vous sentiez à l’aise. Être à l’aise possède bien sûr une dimension physique : le corps vit totalement la méditation sans obstacle ; mais être à l’aise recèle également une dimension psychologique : c’est la confiance. Soyez confiant en vous-même.

Au fur et à mesure des méditations, les perturbations vont se calmer. Vous allez vous sentir tranquille, apaisé. Mais ce n’est pas là la fin de la méditation, ce n’est au contraire que la toute première étape. La porte d’entrée. À partir de ce calme, il vous faudra ensuite aller plus loin, faire un saut dans l’inconnu. Il existe différentes techniques pour calmer l’esprit, mais pour faire ce saut-là, vous verrez qu’il n’existe fondamentalement aucune méthode.

Trois coups de cloche marquent le début de la méditation, deux la fin. Il n’y a rien entre ces deux moments, pas un bruit, personne pour vous observer, personne pour vous parler. Telle est la manière traditionnelle du zen : seulement vous avec vous-même. Et quelque part l’inconnu.

Avant de vous installer dans l’assise droite, exercez-vous à la méthode traditionnelle d’expulser l’air des poumons : vous posez les mains sur les genoux puis, trois ou quatre fois, sans bruit, vous expirer longuement la bouche entr’ouverte et vous inspirez par le nez. Ensuite, vous vous balancez de gauche et de droite, sept ou huit fois, dans des mouvements de moins en moins amples jusqu’à trouver la rectitude du corps. Vous joignez les mains et vous vous inclinez. À la fin de la méditation, avant de vous relever, procédez de même, mais en sens inverse. Vous inclinez les mains jointes, vous vous balancez de droite et de gauche dans des mouvements de plus en plus larges, puis vous expulsez l’air, la bouche entr’ouverte, tout en inspirant par le nez. Prenez le temps de ces temps de transition. Ne vous levez pas d’un coup. Vivez le corps dans la lenteur.

Après la méditation assise, vient le temps de la méditation marchée. Prenez une attitude digne, toujours stable, tonique, à l’aise. Le corps est redressé, la tête également, le regard abaissé devant soi. Le poing gauche enserre le pouce gauche, la main droite enserre le poing gauche, le pouce droit appuie à la racine du pouce gauche, et les mains sont posées délicatement contre le sternum, les avant-bras à l’horizontale. Et vous marchez au rythme de la respiration : vous avancez d’abord le pied droit et, pendant toute l’expiration, vous déportez le poids du corps sur la jambe avant, la jambe arrière restant détendue mais sans que le talon décolle du sol. À l’inspiration, le pied arrière passe devant et l’on recommence le processus en portant le poids du corps sur cette jambe avant. Le pas s’harmonise avec le souffle et l’on se contente de faire un pas l’un après l’autre.

À la fin, le responsable de la méditation récite la dédicace : "Que ces vertus qui se répandent en tous lieux tarissent la source des souffrances et nous permettent avec tous les êtres de réaliser la voie de l'éveil." Quiconque découvre l'inconnu, redécouvre l'autre.

Plus d’une heure s’est passée. Vous sortez. Vos chaussures n’ont pas bougé de place. Aucun mauvais génie ne les a emportées. Et vous, avez-vous changé ?

Qu'est-ce que le zen ?

Qu'est-ce que le zen ?

Le zen est une voie d’authenticité et d’éveil née de l’expérience du Bouddha Shâkyamuni.

Cet homme que l’on appelait également Gautama vivait dans l’Inde du Nord quelques siècles avant Jésus-Christ. De la caste des guerriers, il appartenait au clan des Shâkya. On le disait promis à un destin de roi. Une nuit pourtant, touché par la détresse du monde, il quitta son palais et devint un ascète errant. Après six années de macérations, il renonça à ses austérités. Il rassembla alors des herbes et s’en fit un siège. Il s’assit droit, les jambes croisées dans la posture du lotus. Après une nuit de méditation, comme il contemplait l’étoile du matin qui pâlissait dans le ciel, la Réalité lui apparut clairement. Il s’exclama alors : "Moi et tous les êtres sur la Terre entière avons simultanément réalisé l’éveil." Il était devenu le Mahâmuni, "le Grand Sage", ou plus communément le Shâkyamuni, "le Sage des Shâkya". Il se leva et enseigna aux hommes pendant quarante-cinq ans.

Comme des pétales qui s'ouvrentLe zen, en tant qu’école indépendante, apparaît en Chine vers les sixième et septième siècles après Jésus-Christ et s'inscrit dans le courant dit du Grand Véhicule. Deux ou trois siècles auparavant, un mystérieux moine indien, le fantasque Bodhidharma se serait retiré dans une grotte à Shaolin et aurait apporté, dit-on, la fleur du zen dans ces terres orientales. Un poème lui est attribué :

Originellement, je suis venu sur cette terre
Pour transmettre l’enseignement et sauver les égarés.
Une fleur s'ouvre en cinq pétales,
Et le fruit mûrit naturellement.

Cinq écoles zen fleurirent effectivement en Chine aux époques Tang (618-907) puis Song (960-1127). Les écoles Linji et Caodong, Rinzai et Sôtô dans la prononciation japonaise, sont les plus connues. Le zen se transmit ensuite dans tous les pays d’influence chinoise, en Corée, au Vietnam et même au Tibet. Comme quelques autres moines japonais, Dôgen (1200-1253) visita les grands monastères de la côte est de la Chine et ramena à son tour les graines du zen dans son propre pays. Quelques générations après, le zen devenait l'une des principales écoles bouddhistes du Japon.

Le zen n’est ni une gymnastique ni une technique de bien-être. Pour celui qui s’engage dans cette voie, il s’agit de vivre totalement, avec son corps et son esprit, de s'engager à prendre soin de soi comme de son prochain, d'affronter également ses propres peurs et ses névroses.

Si l’on s’en tient à une formule classique, la pratique du zen consiste à "résoudre la grande affaire de la vie et de la mort" (Sûtra du Lotus). Nous sommes tous confrontés aux questions fondamentales : celles de la souffrance, de la détresse et de la mort, la nôtre comme celle d’autrui. Le bouddhisme prend à bras le corps ces affaires-là, celles qui nous taraudent vraiment. Pour vivre avec douceur et éveil.

L’expérience du zen repose sur l’approfondissement conjoint d’une méditation, d’une intelligence et d’une éthique (qui correspondent aux termes sanskrits dhyâna, prajñâ et sîla).

Enseigner le silence intérieur, faire taire les luttes et les conflits étaient le grand dessein du Bouddha pour les hommes. La méditation est la pratique de ce silence. Le Bouddha Shâkyamuni s’est exclamé : "Moi et tous les êtres sur la Terre entière avons simultanément réalisé l'éveil." Cela signifie que le monde entier, nous-mêmes, sommes originellement en paix. Pratiquer la méditation, c’est réaliser et vivre cette paix.

Mystérieusement, la méditation n’apporte rien et pourtant elle change tout. Bouleversé par la découverte de cette paix, on réinvestit chacun de ses gestes avec intelligence. Une tendresse, une bonté et une beauté s'en dégagent naturellement. L’éthique, un mot pour exprimer toute la justesse de nos actes, manifeste cette intelligence. Elle s'accomplit totalement dans l’amour et la compassion. Son éthique est celle du bodhisattva : ne pas faire le mal, faire le bien et aider autrui. Des principes simples et pourtant si difficiles à pratiquer...

Les graines du zen ont déjà été semées en Occident depuis une quarantaine d’années. De nombreuses fleurs se sont ouvertes depuis. À nous de les cueillir.

jeudi 6 mai 2010

Le circuit intégré

Tout le monde trimbale dans sa vie ce qu'on pourrait appeler un circuit intégré imaginaire qui envoie une décharge dès qu'on aperçoit quelque chose qui ressemble à un problème. On peut se le représenter équipé de millions de prises de courant, toutes accessibles, et dès qu'on se sent menacé ou ébranlé, on se branche sur le circuit pour réagir à la situation.

Ce circuit intégré représente nos choix fondamentaux : ce qu'on estime devoir être pour survivre et obtenir ce que l'on veut de la vie. On a découvert assez tôt dans l'enfance que la vie n'était pas toujours telle qu'on l'aurait souhaitée et que les choses tournaient souvent à notre désavantage. Et comme on n'aimait pas être empêché d'agir à sa guise et qu'on n'avait pas envie de se sentir mal dans sa peau, on s'est créé une réaction de défense pour barrer le passage à tous ce qui pourrait nous rendre malheureux. Cette réaction de défense, c'est ce qui constitue notre circuit intégré. Bien qu'on soit branché dessus en permanence, on le remarque surtout lorsque survient un stress ou une menace. On a décidé que la vie ordinaire (la vie telle qu'elle est) était inacceptable à nos yeux, et l'on tente de s'opposer aux événements.

Tout cela est inévitable. D'abord, parce que nos parents n'étaient pas des êtres totalement éveillés, des bouddhas, puis parce que d'autres gens et certains événements ont sans doute contribué aussi à cet état de choses. Et nous étions trop jeunes pour avoir la maturité de gérer convenablement de telles difficultés. Alors on s'est branché sur son circuit intégré, on a piqué sa petite colère et on a "flippé", ou bien on s'est replié sur soi.

dimanche 2 mai 2010

Vivre zen, partie 1

Le zen n'est pas un art de vivre exotique ou spécial.
Notre enseignement, c'est tout simplement vivre, toujours dans la réalité, au sens exact du terme.
Shunryu Suzuki
Esprit zen, esprit neuf.

Vivre zen, ce n'est rien de spécial. Rien que la vie, telle quelle. Le zen est la vie même, sans rien de plus.

Ne placez aucune tête au-dessus de la vôtre. Attendre du zen, ou de tout autre cheminement spirituel, c'est se couper de la terre et du ciel, des êtres chers, de son cœur meurtri et de son dos douloureux, de la plante de ses pieds, même. Nos fantasmes nous isolent du réel pour un temps, mais la réalité revient au galop, trouve mille et une façons de chambouler nos rêves. La vie devient bousculade angoissée, désespoir rentré, mélodrame et confusion. Troublé et obnubilé, on cherche quelque chose de spécial, un ailleurs, un autre temps. N'importe quoi mais surtout pas ici, pas maintenant, pas ça etc. Tout sauf la vie de tous les jours, ce....rien de spécial.

Vivre zen veut dire cesser de fuir le rien pour s'ouvrir a la réalité d'ici et maintenant. Lentement, péniblement se réconcilier avec la vie. Le cœur chavire, l'espoir meurt. "Les choses ne sont toujours que ce qu'elles sont", observe Joko.

Tourbillons et eaux stagnantes

Nous ressemblons un peu a des tourbillons dans la rivière de la vie. Le cours d'une rivière ou d'un fleuve est souvent entravé par des rochers, des branches ou des irrégularités de son lit qui forment spontanément des tourbillons. L'eau happée dans un tourbillon en sort rapidement pour rejoindre le cours de la rivière, et s'engouffre bientôt dans un autre pour en ressortir aussi vite. Bien que l'eau du tourbillon semble être, pour un instant, un phénomène distinct, elle n'est autre que la rivière. L'état de tourbillon est éminemment temporaire.

L'énergie qui animait le tourbillon se dissipe et l'eau continue a couler, pour peut-être se retrouver prise ailleurs et virevolter encore en un nouveau tourbillon. Pourtant, on n'aime guère envisager la vie sous cet angle-la. On ne tient pas a se voir comme une simple formation temporaire, un tourbillon dans la rivière de la vie. En réalité, nous prenons forme pour un temps et puis, lorsque les conditions sont réunies, nous disparaissons. Rien de mal a cela, c'est qu'on aime a penser que son petit tourbillon ne fait pas partie du fleuve. On se veut permanent et stable. ON déploie des trésors d'énergie pour tenter de protéger "l'existence séparée" qu'on croit posséder.